vendredi 20 novembre 2015

Hemingway : Paris est une fête


J'avais envie depuis longtemps d'écrire une petite note sur "Paris est une fête", d'Hemingway, dans ce blog consacré aux livres que j'aime et que je souhaite partager.

Surtout après la sortie du film "Midnight in Paris "de Woody Allen, qui met en scène Hemingway et des personnages évoqués dans ce livre : Scott Fitzgerald, Ezra Pound, Gertrude Stein,...
Voir ici .

Ernest Hemingway

Il se trouve que depuis les attentats du 13 novembre à Paris, ce roman magnifique fait un retour - pas si stupéfiant que cela - en tête des ventes...pour des raisons que tout le monde a en tête.

Pour moi, en ce moment, Paris, c'est mon quartier de prédilection, le XI° arrondissement, meurtri sauvagement dans la chair de ses amoureux de la Vie, auxquels je ne cesse de penser. 

Les barbares décervelés et manipulés qui tuent soi disant au nom d'Allah ne peuvent tuer cette Vie là.
Ils ne font que se sacrifier eux même au nom d'une cause déjà perdue.

Ce livre est devenu un hommage aux victimes et un symbole de liberté.
Des exemplaires sont déposés entre fleurs et bougies devant les bars visés par les assassins terroristes.
On le trouve déposé devant le Bataclan.


Entre les fleurs près du Bataclan.
Pendant la minute de silence lundi, nombre de personnes tenaient ce livre à la main.

N'empêche que je ne peux m'empêcher de dire ici, à mon tour, mon admiration pour Hemingway et tout particulièrement pour ce livre publié de manière posthume en 1964, sous le titre "A Moveable Feast".



Il parait en français, la même année, sous le titre "Paris est une fête" (Gallimard), traduit par Marc Saporta.


Cette histoire est autobiographique, mais l'auteur y mêle son imaginaire aux faits réels : en 1921 un jeune journaliste américain arrive à Paris avec sa charmante épouse. Le couple vit d'amour et de vin frais... de 1921 à 1926.



Les souvenirs y sont tendres et joyeux, la vie y est folle et insouciante, mais il ne s'agit pas d'un conte bleu, car le cadre s'élargit : il y a Gertrude Stein, Ezra Pound, Scott Fitzgerald...et avant tout un amour pour Paris qui ne peut que me faire vibrer, même si certains quartiers du Paris d'alors ont bien changé.


Chaque partie de ce livre est élaborée avec précision, sans artifice ou effet littéraire.
Une belle écriture, une ode à l'amour, à la Vie simple, aux rencontres,...
Les amoureux de Paris se réjouiront de suivre ses pérégrinations dans les rues et les ruelles, ses haltes dans les cafés et les bistrots enfumés : des moments magiques décrits avec brio et simplicité par une personnalité fascinante.

"Il n'y a jamais de fin à Paris et le souvenir qu'en gardent tous ceux qui y ont vécu diffère d'une personne à l'autre.

Nous y sommes toujours revenus, et peu importait qui nous étions, chaque fois, ou comment il avait changé, ou avec quelles difficultés - ou quelles commodités - nous pouvions nous y rendre.

Paris valait toujours la peine, et vous receviez toujours quelque chose en retour de ce que vous lui donniez.

Mais tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvres et très heureux"
(Folio, p 241)

Un livre essentiel qui nous fait voyager à travers le temps en bonne, très bonne compagnie, un livre à dévorer pour tous les amoureux de Paris.

Voir ici l'article de JCMEMO du 9 novembre 2014.

mardi 10 novembre 2015

Méditations d'automne, en Alsace


L'automne en Alsace a un charme indéfinissable, que seuls les poètes peuvent transcrire et nous communiquer!

C'est le moment pour moi de redécouvrir quelques poètes "classiques", peut-être oubliés, avec un brin de nostalgie propre à cette belle saison, des poètes qui ont nourri nos jeunes années, car ...

... Nous sommes nés pour porter le temps, non pour nous y soustraire,
Ainsi qu'un journalier qui ne quitte la vigne qu'à la tombée du soir.
(Jean-Paul de Dadelsen, Bach en automne)

Kaysersberg



 Les feuilles dans le vent courent comme des folles ;
Elles voudraient aller où les oiseaux s’envolent,
Mais le vent les reprend et barre leur chemin
Elles iront mourir sur les étangs demain.
(Anna de Noailles, Le coeur innombrable)



Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !
(Lamartine, Méditations poétiques)


Dans le parc aux lointains voilés de brume, sous
Les grands arbres d’où tombe avec un bruit très doux
L’adieu des feuilles d’or parmi la solitude,
Sous le ciel pâlissant comme de lassitude,
Nous irons, si tu veux, jusqu’au soir, à pas lents,
Bercer l’été qui meurt dans nos coeurs indolents.
(Albert Samain, Le chariot d'or)

Colmar


Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil,
Embrase le coteau vermeil
Que la vigne pare et festonne.

Père, tu rempliras la tonne
Qui nous verse le doux sommeil ;
Sois le bienvenu, rouge Automne,
Accours dans ton riche appareil.
(Théodore de Banville)



Comme un monde qui meurt écrasé sous son Or,
La Forêt automnale en son faste agonise
Et ses feuilles, comme les pièces d’un trésor,
S’amoncellent sous le râteau fou de la bise.
(Gaston Couté)


Photos "Le Promeneur du 68"

vendredi 25 septembre 2015

"Refuge" de Terry Tempest Williams


J'ai fini de lire ce livre passionnant en revenant justement de l'Ouest américain, et en particulier de l'Utah, et des rives du Grand Lac Salé, là même où se déroule l'action de ce témoignage.

Terry Tempest Williams

Terry Tempest Williams est née en 1955 dans le Nevada et a grandi dans l'Utah.
Auteur de nombreux récits, essais et poèmes, elle est aujourd'hui une voix incontournable de l'Ouest américain.


Utah, printemps 1983. La montée des eaux du Grand Lac Salé, près de Salt Lake City, atteint des niveaux records et les inondations menacent le Refuge des oiseaux migrateurs (Que nous avons visité cet été).

Photo Bear River Migratory Bird Refuge

Alors qu'elle est confrontée au déclin des espèces, Terry apprend que sa mère est atteinte d'un cancer, conséquence probable des essais nucléaires menés dans le Nevada au cours des années 1950.

Bouleversée par la douleur de celle qu'elle accompagne dans la maladie, Terry trouvera l'apaisement non seulement dans l'observation des oiseaux du Refuge, mais aussi dans sa propre capacité à aimer.


Etude naturaliste et chronique familiale saisissante, Refuge entrelace le destin des oiseaux du Grand Lac Salé et celui des hommes, frappés comme eux par les drames écologiques.

Photo Le Promeneur du 68

Dans une langue sobre et poétique, Terry Tempest Williams refuse la tragédie et lance un formidable appel au renouveau.

"Le monde est en mouvement. Nous mêmes sommes en mouvement. 
Nous avons tous perdu un être cher. Nous avons tous dansé avec le chagrin, et un jour, nous danserons avec la mort.
Nous sommes une incarnation de la spirale, en mouvement vers l'intérieur et vers l'extérieur, tandis que nous nous débarrassons de notre peur, que nous sentons en nous un amour transcendant et que nous manifestons le courage d'établir de nouvelles cartes." p 344

Publié pour la première fois en 1991, ce livre, qui fait figure de classique fut unanimement salué, tant pour sa portée environnementale, que pour ses qualités poétiques et l'émotion contenue du récit.

"Pénétrant et d'une intensité presque insupportable, Refuge est un essai sur la mortalité - la nôtre et celle du monde de la création" Jim Harrison

Note : le Bear River Migratory Bird Refuge est situé là où la Bear River se jette dans le bras NE du Grand Lac Salé : voir ici (en anglais).

On accède au Refuge par Brigham City
La Bear River est non loin




mardi 25 août 2015

Dan O'Brien : Les bisons de Broken Heart


Dan O'Brien est un écrivain emblématique du grand Ouest américain, né en 1947 dans l'Ohio.

Spécialiste des espèces en voie de disparition, il enseigne la littérature et l'écologie des Grandes Plaines.

Dan O'Brien

Mais plus qu'un écrivain, c'est un cow-boy, un fauconnier et un éleveur de bisons : il a créé, dans le Dakota du Sud, la Wild Idea Buffalo Company dans une optique écologique et éthique.
Voir ici son site.

Il est l'auteur de deux grands classiques du "nature writing" : Rites d'Automne et Les Bisons de Broken Heart, publié en 2001.


"Tous mes livres sont consacrés à la nature, parce que je vois le monde en tant que biologiste. Certains écrivains sont fascinés par les relations humaines, moi je m'intéresse aux relations avec la nature, entre les espèces."

Quand Dan O'Brien s'installe dans le ranch de Broken Heart, il réalise son rêve : vivre au pied des terres indiennes de Sitting Bull.

Mais en un siècle, les Grandes Plaines ont été stérilisées par l'agriculture et le surpâturage de l'élevage bovin.

Pour rétablir l'écosystème original de ses terres, O'Brien imagine l'impossible : élever des bisons dans leur milieu naturel...

Photo le promeneur du 68

Sur les pas de Jim Harrison, il nous offre avec son talent de conteur et d'écrivain, une magnifique ode au Grand Ouest américain.

Cette autobiographie est absolument passionnante : une magnifique aventure personnelle, un pari qui semblait au départ insensé, et un défi aux entreprises du "make money" à tout prix.
Voir ici l'article paru en 2007 dans Libération.

Dan O'Brien vient de publier en 2014 la suite de cette épopée : Wild Idea, où il décrit, en un passionnant témoignage, comment il réintroduit enfin les bisons en liberté sur leur terre originelle (Au Diable Vauvert).



Il y raconte sa passion pour l'élevage des bisons, cette merveille de l'évolution, parfaitement adaptée à ces immenses plaines arides, battues par les vents, brulées par un froid polaire en hiver, un soleil de plomb en été.

Quand, entre 1870 et 1875, 13 millions de bisons ont été systématiquement massacrés, l'objectif principal était l'extermination des Indiens, dont le mode de vie et la subsistance étaient basés sur une symbiose avec le bison.

Massacre des bisons

vendredi 19 juin 2015

Henri Michaux : Un Barbare en Asie



Henri Michaux (1899-1984) est un peintre et poète français d'origine belge (Namur). Voir ici .

Soucieux avant tout de préserver sa solitude et de ne pas "laisser de traces", Michaux a fui toute publicité.
Mais en 1941, il est reconnu par ses pairs lorsque André Gide publie : "Découvrons Henri Michaux".

Henri Michaux

"Un Barbare en Asie" est un carnet de voyages écrit par Henri Michaux à l'occasion de son voyage en Asie en 1931.
Il traverse l'Inde, Ceylan, la Chine, le Japon et l'Indonésie.


Il parle de ces différentes cultures sur un ton humoristique et plein de finesse.

Dans cet ouvrage tout empreint de poésie, Michaux se demande ce que les européens pourraient, selon lui, apprendre de ces populations...

Nous avons là une vision légère, partiale, mais pertinente de ces cultures et de ces peuples.

Il reconnaitra, dans sa préface de 1964, les avoir idéalisés, puisqu'ils ont été occidentalisés...

Certes, il y a là beaucoup d'idées qui datent (1931), mais surtout ce qu'il faut retenir de ce livre étonnant, surtout pour quelqu'un qui, comme moi, a voyagé en Asie, c'est la poésie et la forme d'humour, de perspicacité et la puissance d'analyse très personnels de Michaux.

"On n'a pas été assez frappé de la lenteur de l'esprit indien? 
Il est essentiellement lent, tenu en main.
Ses phrases, quand on les lui entend dire, ont l'air d'être épelées.
L'Indien ne court jamais, ni dans la rue, ni la pensée dans son cerveau.
Il marche, il enchaîne." p. 34

"L'Hindou est un être renforcé. 
Il se renforce par méditation. Il est à la puissance deux.
Il y a, entre un Européen et un Hindou, une différence comme entre le silence et le point d'orgue.
L'Hindou est toujours intense, son repos est positif. 
Le repos du blanc est zéro, ou plutôt il est -x.
L'Indien est jouisseur, il se délecte lentement." p.42


Cet ouvrage se termine, en guise de conclusion, par ceci :

Et maintenant, dit Bouddha à ses disciples, au moment de mourir :

"A l'avenir, soyez votre propre lumière, votre propre refuge."
"Ne cherchez pas d'autre refuge."
"N'allez en quête de refuge qu'auprès de vous-même"
...
"Ne vous occupez pas des façons de penser des autres"
"Tenez vous bien dans votre île à vous."
"Collés à la Contemplation."

Dont acte...

vendredi 22 mai 2015

August Strindberg : Petit catéchisme à l'usage de la classe inférieure



Encore un petit livre étonnant (50 pages) publié par Actes Sud en 1982, précédé d'une intéressante préface d'Eva Ahlstedt et Pierre Morizet ...



... et réédité en poche en 1993 (Babel) :


Il s'agit là d'un livre grinçant, acide, parodique, aux phrases railleuses, aux sentences véhémentes, aux affirmations stupéfiantes (sur les femmes en particulier).
Il a été écrit entre 1884 et 1886.

August Strindberg (né à Stockholm en 1849 et mort à Stockholm en 1912) est un écrivain, dramaturge et peintre suédois des plus importants.

August Strindberg

Strindberg est l'un des pères du théâtre moderne, un pionnier de l'expressionnisme européen moderne. Voir ici .

"On trouve là l'écho des idéaux qui ont pu illuminer cet exalté de l'absolu et l'ombre des persécutions dont cet inquiet perpétuel se croyait l'objet.
Sous le masque du pamphlétaire, c'est tout à la fois l'homme contesté, l'écrivain controversé et l'époux tourmenté qui paraissent ici crier rancoeur et demander réparation." Actes Sud

Strindberg par Levine

Le texte commence sous la forme de questions/réponses, celles d'un "petit catéchisme" :

Qu'est-ce que la Société ? La Société est une forme de vie communautaire qui permet à la classe supérieure de maintenir la classe inférieure sous sa domination.

Et le ton est donné!

Tout est mis avec rage sur la table de dissection : la religion, la politique, les lois, la philosophie, l'histoire, l'esthétique... ainsi que les rapports hommes/femmes, et le mariage!

Strindberg se déchaine!
Il nous assène ses vérités et convictions sans nuances et sans concessions.

"Je déteste les demi-mesures. A bas l'ordre établi. Ce que je veux, c'est l'anarchie!"

Et puis :

"Blasé" est le mot par lequel la classe supérieure désigne celui qui n'est pas amusé par les bouffonneries qu'elle introduit dans la littérature et dans l'art pour détourner l'attention des problèmes sérieux." (p. 50)

"Le pauvre qui vole par nécessité ne fait qu'accomplir le devoir le plus élémentaire de survie et suit son instinct de conservation.
Le riche qui a volé pour satisfaire sa soif de jouissance, commet le crime sans être puni ; il en est même récompensé.
Un marchand qui fait fortune en exploitant la misère des autres finit par être décoré pour "services rendus à la collectivité". (p. 54)

Ce pamphlet n'a jamais été publié du vivant de Strindberg, aucun éditeur ne voulant prendre cette responsabilité!

Ci-dessous, deux huiles d'August Strindberg :

Strindberg "Marine avec récifs"
Strindberg "La ville"

mercredi 20 mai 2015

Herman Melville : Bartleby


Le titre complet de ce petit (soixante pages !) et très fameux ouvrage de Melville est en fait : "Bartleby, le scribe, Une histoire de Wall-Street".

Herman Melville né le 1° Août 1819 au sud est de Manhattan et mort le 28 sept 1891 à New York est un romancier et poète américain.

Herman Melville


Pratiquement oublié de tous à sa mort, Melville est redécouvert dans les années 1920 à travers de son oeuvre maitresse Moby Dick.
Il est considéré comme l'une des plus grandes figures de la littérature américaine.

Je viens de lire l'histoire surprenante de Bartleby il y a peu, lors d'un voyage, dans la belle édition des "Mille et une nuits", publiée en 2010.


Pour... 3€, n'hésitez pas à visiter ou revisiter ce chef d'oeuvre déconcertant...

... déconcertant, car "Bartleby" est associé à une seule phrase : "J'aimerais mieux pas ...", ou "J'aimerais mieux ne pas ...", selon les traductions, soit, en anglais : "I would prefer not to...".

A l'aide d'une seule phrase, Bartleby, clerc comme l'avait été Melville, parce qu'il n'est que cette phrase, ouvre un trou béant dans le monde matériel, que rien ne peut plus venir colmater.


Apparemment, seul Bartleby est capable de logique.
Si nous rions, à la lecture de ce texte, c'est de son entourage, car de Bartleby, comment pourrions nous rire?

"I would prefer not to : la formule cryptée de la résistance passive est contagieuse comme la folie.
Tout le monde l' "attrape" au contact du pestiféré. 
Bartleby est bien le frère en littérature de l'idiot dostoïevskien qui "révèle", au sens chimique du terme, la déraison de ceux qui l'entourent.
Surgi du néant, retourné au néant, "seul en ce monde où il est le seul absent", Bartleby l'écrivain n'est apparu que le temps de dérégler les horloges du monde..." Benjamin Orteski


"J'aimerais mieux ne pas" appartient à l'infini de la patience, ne laissant pas prise à l'intervention dialectique : nous sommes tombés hors de l'être, dans le champ du dehors où, immobiles, marchant d'un pas égal et lent, vont et viennent les hommes détruits." Maurice Blanchot. Discours sur la patience.

Voir ici un film (non daté et en anglais) tiré de ce texte.


vendredi 17 avril 2015

Metin Arditi : Le Turquetto


Metin Arditi, enfant de Turquie est né dans une famille séfarade chassée d'Espagne à la fin du XV° siècle. Voir ici.
Il a quitté la Turquie à l'âge de 7 ans, pour rester onze années dans un pensionnat à Lausanne, seul, "loin des bras"... Il habite depuis à Genève.


Metin Arditi

C'est un "touche à tout" de génie : diplômé en génie atomique, il enseigne la physique, l'économie, la gestion et ... l'écriture romanesque.
Il a été Président de l'Orchestre de la Suisse Romande.
Il est également entrepreneur, millionnaire, promoteur immobilier et mécène.

Sa fatalité, c'est sa solitude : il a un besoin affolant de reconnaissance.
Sa fierté : gagner de l'argent, investir, en particulier dans le mécénat.
Sa recherche : un dialogue invisible avec son père, parti trop tôt...

Il crée des Fondations et est, entre autres, coprésident, avec Elias Sanbar, de la Fondation "Les Instruments de la Paix-Genève" qui favorise l'éducation musicale des Enfants de Palestine et d'Israel.

Et puis il écrit : une dizaine de romans, la plupart chez Actes Sud entre 2004 et 2015, deux récits, quatre essais.
Six prix littéraires, dont le Prix Jean Giono, en 2011, pour son roman, "Le Turquetto" : nous y voila.


"Le Turquetto" débute par une note "scientifique" au lecteur : un rapport - fictif à mon avis -  d'analyse technique du Musée de Genève remettant en cause l'authenticité de la signature du Titien en bas du tableau "L'homme au gant".

L'auteur imagine que ce fameux tableau aurait été peint par un juif turc exilé à Venise, prodige surnommé "Le Turquetto" et aurait été sauvé d'un autodafé par le Titien qui y aurait apposé le T de sa signature...

Ce livre passionnant, qui se déroule entre Constantinople (1531), et Venise (1574) , puis retour à Constantinople (1576) est une réflexion sur la difficulté d'échapper à un destin tracé, sur la recherche du sens de sa propre vie.

Islam, judéïté et christianisme sont au coeur de ce roman.

Il y est aussi question du rapport de la création et de l'art avec le pouvoir.

Scuola Grande di San Rocco

Les descriptions d'une Constantinople métissée et d'une Venise hypocrite, versatile et calculatrice, au XVI° siècle, tiennent le lecteur en haleine.

Grand Bazar de Constantinople/Istanbul

On y retrouve en fait les thèmes essentiels qui sont ceux propres à Metin Arditi lui-même : la solitude, l'exil et la recherche du père.

Ce Turquetto est un héros moderne, et les thèmes développés dans ce beau roman par Metin Arditi sont toujours d'actualité!

dimanche 12 avril 2015

Baron d'Holbach : Essai sur l'art de ramper à l'usage des courtisans


Ce tout petit livre (31 pages, 3,10€), publié aux éditions Allia en 2014 est un bijou! 


Le baron d'Holbach est né dans le Palatinat rhénan en 1723, mais c'est Paris qui sera sa terre d'accueil.
Il y sera une haute figure du monde littéraire.

C'est un savant et philosophe matérialiste d'origine allemande, mais d'expression française.
Voir ici .

Le baron d'Holbach

Le baron d'Holbach s'intéresse à la chimie, à la minéralogie, traduit nombre d'ouvrages sur ces sujets, du latin et de l'allemand.
Très proche de Diderot, il écrira plusieurs centaines d'articles pour le "Dictionnaire raisonné de l'Encyclopédie".

Sa maison, sur les bords de la Marne, est fréquentée par d'Alembert, Buffon, Grimm, Diderot, Hume, Helvétius...

Il luttera toute sa vie contre la censure du Parlement et de Rome.
Il meurt à Paris en 1789.

Cet "Essai sur l'Art de ramper à l'usage des courtisans" est d'une justesse et d'un humour décapants.
Ce texte, écrit dans un style truculent, est d'une incroyable modernité!

Non seulement, nous imaginons fort bien, à sa lecture,  les courtisans courbant l'échine devant le roi dans la galerie des glaces... mais aussi leurs homologues actuels devant le Président de la République ou les chefs de partis sous les ors de la République...

Les courtisans et l'Art de ramper

Quel beau style, daté certes, et quelle ironie mordante!

"Les peuples ingrats ne sentent point toute l'étendue des obligations qu'ils ont à ces grands généreux (les courtisans), qui, pour tenir leur Souverain en belle humeur, se dévouent à l'ennui, se sacrifient à ses caprices, lui immolent continuellement leur honneur, leur probité, leur amour-propre, leur honte et leurs remords.
Ces imbéciles ne sentent donc point le prix de tous ces sacrifices?" (p. 12)

"Les dévots et les sages n'ont pu vaincre l'amour-propre; l'orgueil semble très compatible avec la dévotion et la philosophie. C'est au seul courtisan qu'il est réservé de triompher de lui-même et de remporter une victoire complète sur les sentiments de son coeur." (p. 14)

"Un bon courtisan ne doit jamais avoir d'avis, il ne doit avoir que celui de son maître ou du ministre, et sa sagacité doit toujours le lui faire pressentir." (p. 16)

"Quel respect, quelle vénération ne devons nous pas avoir pour ces êtres privilégiés que leur rang, leur naissance rend naturellement si fiers, en voyant le sacrifice généreux qu'ils font sans cesse de leur fierté, de leur hauteur, de leur amour-propre !" (p. 21)


vendredi 10 avril 2015

Albert Camus : discours de Stockholm en 1957


Je me suis offert il y a peu une "Bible" imposante : "Tous les discours de réception des Prix Nobel de Littérature", présentés par Eglal Errera (Flammarion/France Culture, 25€).


Une "Bible" de 935 pages, qui ne se lit certes pas d'une traite : y figurent en effet les discours de 109 écrivains récipiendaires du Prix Nobel entre 1901 et 2012. 
Mais il se savoure par petits bouts qui permettent d'aller de découvertes en découvertes!

Ces auteurs ont bâti leurs oeuvres en 25 langues...

Les discours sont prononcés aussi bien par des auteurs toujours reconnus que par des écrivains tombés depuis dans l'oubli, et qu'il peut être passionnant de redécouvrir.


"Les discours qu'ils prononcent ne sont en rien complaisants ou académiques : ce sont des textes inspirés, puissants, et souvent surprenants sur la création littéraire, sur l'enjeu vital et affectif qu'elle représente.

Certains auteurs affirment l'engagement politique lié à l'acte d'écrire et de publier, d'autres convoquent de lointains et intimes souvenirs rendent hommage aux personnages - le plus souvent obscurs et parfois illettrés -, au pays, à la langue auxquels ils doivent leur honneur présent, d'autres encore, saluent les écrivains dont la lecture a initié et accompagné leur travail." Eglal Errera


Je me suis précipité sur les cinq pages denses et émouvantes du texte prononcé en 1957 sous les ors de l'Académie de Stockholm par Albert Camus.

Albert Camus à Stockholm
le 12 décembre 1957

Voici l'idée qu'il se fait de son art et du rôle de l'écrivain :

"Je ne puis vivre personnellement sans mon art. 
Mais je n'ai jamais placé cet art au dessus de tout.
S'il m'est nécessaire au contraire, c'est qu'il ne se sépare de personne, et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous.

L'art n'est pas à mes yeux une réjouissance solitaire.
Il est un moyen d'émouvoir le plus grand nombre d'hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes.
Il oblige donc l'artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle.
Et celui qui souvent a choisi son destin d'artiste parce qu'il se sentait différent apprend bien vite qu'il ne nourrira son art et sa différence qu'en avouant sa ressemblance avec tous".

"Le rôle de l'écrivain ne se sépare pas de devoirs difficiles.
Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'Histoire : il est au service de ceux qui la subissent."

"...Il ne me reste plus qu'à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, la même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence"



samedi 4 avril 2015

Anton Tchekhov : La Mouette


Anton Tchekhov (1860-1904), sur cette photo a le visage fin d'un homme d'une quarantaine d'années, marqué par la fatigue, les cheveux emmêlés, et la barbe taillée en pointe, un peu négligée, où paraissent des poils argentés.

Anton Tchekhov

Son sourire est légèrement et tendrement moqueur et derrière les verres du pince-nez, on sent un regard plein de gentillesse : cet homme observe et comprend.

Tchekhov est l'un de mes auteurs préférés, et je n'ai pas fini de le découvrir!

Il termine ses études de médecine en 1884 et prend en charge ses patients bénévolement.

Il écrit 649 nouvelles et récits entre 1880 et 1887 et une quinzaine de pièces de théâtre entre 1884 et 1904 et dès 1886, il privilégie son activité littéraire.

Dans ses contes et nouvelles, une pauvre humanité défile devant nous, hommes, femmes, enfants ; on y rencontre des bêtes aussi, victimes de la bêtise, de la brutalité, livrées sans défense à l'injustice.

Si, en refermant ses livres, nous éprouvons de la tristesse, s'y mêle aussi de la drôlerie, un côté satirique, mais surtout une certaine douceur, une tendresse que les russes appellent "tchekhovienne"...une foi profonde et lucide dans la bonté foncière de la nature humaine.


Parmi toutes ses pièces, que j'ai eu l'occasion de voir et d'apprécier (Oncle Vania, Les Trois Soeurs, La Cerisaie, Platonov, La Mouette,...), celle qui a ma préférence est sans nul doute "La Mouette", certainement parce qu'en des temps reculés, où je prenais des cours de théâtre, j'ai eu l'occasion de jouer le rôle de Trigorine, et de rentrer profondément dans une écriture qui me touche toujours au plus haut point. Voir ici.

"La Mouette" est une dramatique et poignante comédie de moeurs.

La plupart des personnages qui y sont décrits sont des gens sensibles et convenables.
Ils rêvent que leur vie va s'améliorer et beaucoup, cependant, en vain.

Il y a là un certain sentiment d'impuissance et d'inutilité, une auto-compassion exagérée, un manque d'énergie et de volonté.
Les personnages se révèlent en général incapables, ou bien sans réelle volonté de faire bouger cette évanescence qui les paralyse.

On assiste à un affaiblissement intellectuel croissant de personnes pourtant intelligentes...

Dans "La Mouette", il y a juste des personnages confrontés à la sclérose des habitudes et à l'usure du temps auxquels rien ne résiste.

Les personnages, comme Treplev, s'apercevront, trop tard, qu'ils ne parviendront pas à vivre avec ce que la nature leur a accordé comme talents.

Dans "La Mouette", le temps n'en finit pas de s'écouler, l'amour n'est jamais payé de retour, et tout s'achève sur une tragédie, celle de l'amour irréalisable, dérisoire.

Mais malgré tout, il y a une tendresse impalpable, une tendresse qui est d'un autre monde...


"Jardinier des Lettres, Tchekhov sème des mots simples, de petites graines grises, sans odeur ni saveur particulières et, ô miracle, nous les voyons fleurir comme en rêve, prendre des couleurs d'une tendresse surnaturelle.
Et dans le silence, ce que nous entendons, c'est la musique de l'âme." Antoine Vitez