mardi 21 octobre 2014

André Breton : Une écume de neige vivante...


Secrètement, une des motivations de mon voyage en Gaspésie, à l’extrême Est du Québec, il y a déjà 7 ans, en octobre, était de vivre, en chair et en os, en rocher et en plumages, dans le vent du grand large, le déjà attendu et le cependant totalement  inconnu : le choc visuel du texte écrit en 1944 par André Breton : « Arcane 17 », texte découvert par moi il y a plus de 30 ans…



 » …mais c’était l’île Bonaventure, un des plus grands sanctuaires d’oiseaux de mer qui soient au monde… » 

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Sur l' Île Bonaventure, au large de Percé, les Fous de Bassan vivent par dizaines de milliers…Ils se préparaient certainement lorsque nous les vîmes, à quitter peu de temps après l’île Bonaventure pour le golfe du Mexique, avant de revenir vers leurs nids à la mi-juin de l'année suivante. 

Le temps exceptionnellement clément des jours précédents leur avait fait retarder leur grande migration annuelle. Nous aurions pu accoster sur une île déserte…
Nous en avons fait le tour, avant d’y débarquer, par un petit matin de 11 Octobre, par temps couvert : crachin et brouillard – quelques degrés à peine au dessus de zéro. Nous étions quasiment seuls et transpercés par un vent humide et glacial. Moi tout rempli à la fois d’excitation et d’émotion intérieures à l'idée de revivre les sensations si magistralement décrites par André Breton :
« …notre attention avait été captée par l’aspect, bravant l’imagination, qu’offrait l’abrupte paroi de l’île frangée de marche en marche d’une écume de neige vivante et sans cesse recommencée à capricieux et larges coups de truelle bleue. »                           
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 Tout comme André Breton dans les années quarante, ce spectacle m’a embrasé, comme lui, durant un beau quart d’heure qui justifiait tout ce déplacement, si loin, au travers des océans ; mes pensées comme pour lui, avaient bien voulu se faire toute avoine blanche dans cette batteuse.
« Parfois, une aile toute proche, dix fois plus longue que l’autre, consentait à épeler une lettre, jamais la même, mais j’étais aussitôt repris par le caractère exorbitant de toute l’inscription. »
J’ai été fasciné par ce spectacle absolument fantastique, saisi corps et âme par le pouvoir de l'émerveillementCe site devrait faire partie, sans contredit, des grandes merveilles du monde : autant dire que je ne regrette pas ce voyage qui m’a été imposé par le pouvoir évocateur des mots d’ André Breton, par le pouvoir de la littérature, par la puissance des mots.
« On a pu parler de symphonie à propos de l’ensemble rocheux qui domine Percé, mais c’est une image qui ne prend de force qu’à partir de l’instant où l’on découvre que le repos des oiseaux épouse les anfractuosités de cette muraille à pic, en sorte que le rythme organique se superpose ici de justesse au rythme inorganique comme s’il avait besoin de se consolider sur lui pour s’entretenir.[…]Les différents lits de pierre, d’une ligne souple glissant de l’horizontale à l’oblique à quarante cinq degrés sur la mer sont décrits d’un merveilleux trait de craie en constante ébullition.[…] Il est merveilleux que ce soient les plis mêmes imprimés au terrain par les âges qui servent de tremplin à la vie en ce qu’elle a de plus invitant : l’essor, l’approche frôlante et la dérive luxueuse des oiseaux de mer. »
Il y a le tremblement d’une étoile au dessus de cette vision de vie en effervescence, enracinée sur le rocher le plus improbable : l’essence même de la pensée poétique…

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