lundi 17 janvier 2022

Philippe Delerm : Les Mots que j'aime

 

Philippe Delerm, né le 27 Novembre 1950 à Auvers-sur-Oise est l'auteur de divers recueils de poèmes en prose dont "La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules" (Gallimard 1997), qui connut un immense succès.


Philippe Delerm voue son écriture à la restitution d'instants fugitifs, à l'intensité des sensations d'enfance.

Il est aussi l'auteur de "Ma Grand-mère avait les mêmes" (2008), et "Je vais passer pour un vieux con" (2012) et de nombreux autres ouvrages.

J'ai fort apprécié la lecture de "Les Mots que j'aime" (Points, 2013).


"Les mots que j'aime, pour leur sens, leur sonorité et le plus souvent pour le rapport de la musique avec l'idée, de la cadence avec l'imaginaire.

Les mots que j'aime.

Pour le pouvoir qu'ils ont sur moi, et pour l'écho que je leur donne.

Les mots qui touchent, ceux qui font sourire. Et ceux que je déteste. Quelquefois..."


Les mots sont truculents. Les mots sont savoureux. Les mots sont mélancoliques, surprenants, drôles ou érotiques.

Philippe Delerm dresse dans ce livre la liste de ses préférés et raconte leur histoire: entre humour et poésie, il évolue ici dans un registre où il excelle.

Parmi la petite centaine de pépites :

Presbytère:

"C'est le mot qui faisait rêver Colette enfant. Pas pressée de demander son sens aux adultes, elle préférait y faire tenir la coquille des petits escargots jaunes.

Devoir apprendre qu'il fallait comprendre la maison du curé ne lui apporta pas de révélation, seulement l'occasion de multiplier son imagination par ce qu'on feint d'appeler réalité ...

Presbytère ...Un mot étrange, pas très catholique en dépit de son rôle assigné. Trop austère bien sûr, d'une sévérité nettement protestante, peut-être aussi à cause de Luther.

"Rêche en son commencement" écrivait l'auteur de La Maison de Claudine.


Oui ce presb est une herse confuse en guise de portail, un choc de consonnes hérissées étouffant le e frileux qui les cautionne. Le y n'arrange rien, avec son élégance et son mystère nous entraînant déjà dans des images helléniques - on songe à phalanstère.

Mais le plus étonnant, c'est le charme du lieu. "J'ai acheté l'ancien presbytère". A chaque fois on hoche la tête et on devine. Une maison délicieuse accotée à l'église, des poires en espalier, des murs bas, une atmosphère anglaise. Ceux qui faisaient voeu de pauvreté et d'abstinence habitaient un lieu voluptueux, idéal pour abriter aujourd'hui la chaleur amoureuse et le plaisir d'être sur terre."



dimanche 16 janvier 2022

Simone Veil : "Une vie"

 Personnage au destin exceptionnel, Simone Veil était la femme politique dont la légitimité était la moins contestée, en France et à l'étranger.

Voir ici sa biographie.


Dans son autobiographie, "Une Vie", elle se montre telle qu'elle est : libre, véhémente, sereine.

Elle y raconte sa vie, en partant de sa plus tendre enfance au début des années 1930, son passage dans les camps de concentration en 1944-1945 jusqu'à la période précédant son élection à l'Académie Française en 2008.

Simone Veil,
l'inspiration de toute une génération de femmes

Un livre magnifique empli de force et d'espoir.

On y découvre au fil des pages le courage d'une jeune fille qui deviendra femme et permettra une grande avancée du droit des femmes.

Simone Veil présidant une séance
du Parlement Européen en 1979

Simone Veil prouve à travers son livre son attachement aux valeurs familiales et aux principes républicains et montre aussi son caractère trempé et porté à la rébellion.

Le 1° Juillet 2018, Simone Veil devient la cinquième femme à faire son entrée au Panthéon, avec son époux.

"Une Vie" est le récit d'une vie de combats, de courage et d'amour, le témoignage passionnant, émouvant, pudique et enrichissant d'une femme indépendante, rétive à tout embrigadement ou conformisme.


"Certains Français se plaisent à flétrir le passé de notre pays. Je n'ai jamais été de ceux-là. J'ai toujours dit et je le répète solennellement qu'il y a eu la France de Vichy, responsable de la déportation de 76 000 Juifs dont 11 000 enfants, mais qu'il y a eu aussi tous les hommes, toutes les femmes grâce auxquels les trois-quarts des Juifs de notre pays ont échappé à la traque."


mardi 12 octobre 2021

Walter Benjamin : "Sur le Concept d'Histoire", à propos de l'aquarelle "Angelus Novus" de Paul Klee

 

Je retranscris sur ce blog consacré aux livres, la note publiée ce jour sur mon autre blog, "Le Promeneur du 68".

Cette note fait référence à une aquarelle de Paul Klee, "Angelus Novus" et à un texte publié par le philosophe Walter Benjamin à propos de cette aquarelle, dans "Sur le Concept d'Histoire", que l'on peut découvrir dans "Oeuvres III" paru chez Folio Essais en 2000.

Voici donc.

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"Angelus Novus" est une aquarelle peinte par Paul Klee en 1920.


Angelus Novus


Paul Klee est un peintre d'origine allemande, mais d'identité culturelle suisse, que j'apprécie particulièrement : ici.

Paul Klee
1879-1940

Ce tableau est exposé pour la première fois en mai-juin 1920 à la Galerie Hans Goltz, à Munich.

Cette aquarelle, acquise en juin 1921,  a appartenu au philosophe allemand Walter Benjamin (ici), qui la met d'abord en dépôt chez son ami, le philosophe Gerschom Scholem: ici.

Walter Benjamin
1892-1940


Gershom Scholem
1897-1982


Walter Benjamin la conservera jusqu'à sa mort le 26 Septembre 1940 à Port-Bou.

Cette aquarelle fait actuellement partie de la collection du Musée d'Israël à Jérusalem.

Walter Benjamin a contribué grandement à sa notoriété.

Dans les Oeuvres de Walter Benjamin, on trouve, dans "Oeuvres III" (Folio Essais), un texte passionnant intitulé" "Sur le concept d'histoire" (Über den Begriff der Geschichte).


C'est son dernier texte rédigé en 1940 avant qu'il ne mette fin à ses jours.

Ce texte court est composé de 20 paragraphes comprenant des Thèses, des appendices et des variantes.

La IX° Thèse évoque, justement, cette aquarelle de Paul Klee.

Il est précédé d'une citation de Gerschom Scholem "Gruss vom Angelus" (Salutations de l'Ange):

"Mon aile est prête à prendre son essor/ Je voudrais bien revenir en arrière/ Car en restant même autant que le temps vivant/ Je n'aurais guère de bonheur."

Walter Benjamin ne se séparait jamais de cette aquarelle de Klee,  qui était devenue son icône.


Il en parle comme suit, dans la IX° Thèse :

« Il existe un tableau de Klee qui s'intitule Angelus novus

Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. 

Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'histoire. Il a le visage tourné vers le passé. 

Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. 

Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. 

Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. 

Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »


vendredi 6 août 2021

Fernando Pessoa : Je ne suis pas pressé

 

Fernando Pessoa, celui qui était "personne" (pessoa, en portugais), nous a laissé ce beau texte d'actualité: "Je ne suis pas pressé". Voir ici.

Fernando Pessoa
1888-1935


oOo


Je ne suis pas pressé.


Je ne suis pas pressé. Pressé pour quoi?

La Lune et le Soleil ne sont pas pressés : ils sont exacts.

Etre pressé, c'est croire que l'on passe devant ses jambes,

Ou bien qu'en s'élançant, on saute par-dessus son ombre.

Non; je ne suis pas pressé.

Si je tends le bras, j'arrive exactement là où mon bras arrive.

Pas même un centimètre de plus.

Je touche là où je touche, non là où je pense.

Je ne peux m'assoir que là où je suis.

Et cela fait rire comme toutes les vérités absolument vérifiables.

Mais ce qui fait rire pour de bon c'est que nous autres pensons toujours à autre chose.

Et sommes en vadrouille loin d'un corps.


oOo


(Poèmes désassemblés, dans Poèmes païens, Christian Bourgois ed.)



Ecoutez ici l'émission de France Culture "Une vie, une oeuvre" consacrée à "Pessoa, celui qui était personne *" par Hubert Juin et Jean-Claude Loiseau (2.4.87).

* : "persona", en latin, désigne le masque de l'acteur, référence aux "hétéronymes" de Pessoa, ses différents "masques".


vendredi 28 mai 2021

Une histoire mondiale des femmes photographes

 

Les spécialistes de la photographie Luce Lebart et Marie Robert publient chez Textuel un livre monumental, une somme de 500 pages :"Une histoire mondiale des femmes photographes", un livre manifeste qui redonne leur place aux femmes dans l'histoire de la Photographie.


Cette entreprise follement ambitieuse, formidable somme collective, illustrée par 450 images, présente les oeuvres de 300 femmes photographes du monde entier, de l'invention de la photographie jusqu'à l'aube du XXI° siècle.

Rares sont celles dont les noms sont parvenus jusqu'à nous, disparaissant du récit de la création au profit des "Grands Maîtres".

"Les femmes photographes sont au coeur d'un double mouvement : une reconnaissance réelle par leurs pairs masculins, puis leur invisibilisation rapide dans les mémoires et les histoires".

Frances Benjamin Johnston
Autoportrait dans l'atelier
1896

"A partir du début du XX° siècle, toutes les femmes recensées dans l'ouvrage ont une démarche engagée, elles portent un regard sur les minorités, les opprimés, ceux qui souffrent".

Créatrices originales et autonomes, elles n'ont jamais cessé de documenter, d'interroger et de transfigurer le monde, démontrant que l'appareil photo peut être un fantastique outil d'émancipation.

Isabel Muñoz
2005

Pour restituer la diversité des parcours de ces femmes photographes, Luce Lebart et Marie Robert ont invité 160 autrices de différents points du globe à nourrir cet ouvrage manifeste.

Voir ici l'interview des autrices de ce magnifique ouvrage.

Voici un ouvrage formidable, passionnant et indispensable!

samedi 15 mai 2021

Charles Juliet : "Le jour baisse", Journal Tome X

 

Charles Juliet est un écrivain français notamment connu pour son Journal, débuté en 1957, et qui comprend  dix volumes, et son oeuvre autobiographique, Lambeaux.

Voila une des voix les plus singulières de la littérature française, pleine de larmes et d'émerveillements, une voix construite sur les lambeaux d'une enfance compliquée.

Charles Juliet
né en 1934 dans l'Ain

Son oeuvre est impressionnante.

J'aborde cette oeuvre par le Tome X de son Journal intitulé "Le jour baisse" (2009-2012).

Ce Journal, d'une sombre beauté, est d'une grande diversité, plein de sagesse, d'expériences, d'ouverture au monde et aux autres.

Dans ce volume, Charles Juliet tient à s'exposer, à parler de ce qu'il a longtemps tu : son épouse, sa famille, ses rapports avec celle-ci.

Il relate ce que fut son année de préparation aux études de médecine : une angoisse indicible,  celle d'échouer.

Il relate son arrêt des études, son engagement dans l'armée, à l'école d'enfants de troupe, sa passion pour le rugby : une ardente faim de vivre, des tentations, un grand désordre dans la tête et le coeur ...



"Pourquoi écrire un journal ? Je pourrai répondre : parce que je ne sais rien faire d'autre. En réalité je sais pourtant que ce journal a sa source en ce qui me ronge depuis l'adolescence : la sensation douloureuse de la fuite du temps, du fait que rien ne demeure de ce que nous vivons.

D'où la nécessité de garder des traces, de rassembler dans des mots ce que je me refuse à voir disparaître.

A ce besoin est associé la recherche exigeante de la connaissance de soi, la connaissance du psychisme humain.

Recherche qui va de pair avec une lutte pour repérer mes entraves, accéder à une véritable liberté, à une pleine adhésion à la vie"

Charles Juliet a reçu le Grand Prix de l'Académie Française pour l'ensemble de son oeuvre.

Ecoutez ici l'émission de France Culture (Le Temps des Ecrivains, 15/8/2018) consacrée à Charles Juliet, par Christophe Ono-dit-Bio à l'occasion de la parution du Tome IX de son Journal.


samedi 27 février 2021

Une grande nouvelle : les librairies sont classées "commerces essentiels"!

 

Pour une nouvelle, c'est une nouvelle!

Dans le contexte de la pandémie du Covid-19, les librairies (et les disquaires) sont désormais classées "commerces essentiels" par un décret publié le 26 février 2021 au Journal Officiel de la République Française.


Les librairies pourront ainsi rester ouvertes en cas de confinement le week-end, entre 6h et 18h.


Lors du confinement de novembre, les librairies avaient pourtant été considérées comme "non essentielles"... une mesure unanimement dénoncée par les libraires, écrivains, éditeurs et lecteurs.

D'où vient ce revirement? Allez savoir!

Mystère, mais heureux mystère!


En tout cas une grande victoire pour le monde des livres et en particulier pour les libraires indépendants.

La Ministre de la Culture "s'est félicitée" de cette décision du Gouvernement.


Plus qu'un "commerçant", le libraire indépendant conseille la clientèle sur les ouvrages en vente dans sa librairie. 

C'est un passionné du livre, qui connait son sujet sur le bout des doigts, et organise régulièrement des animations, des rencontres avec les auteurs,...

Un beau métier, complet, exigeant, au service d'un public de connaisseurs : en un mot, "essentiel"!